Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

 

 Ségovie (1919-1931)

 Machado est nommé au lycée de Ségovie à la rentrée 1919. C'est un honneur pour la ville de recevoir le poète.

Ségovie est l'une des plus belles villes de la Vieille Castille, avec son Alcazar juché sur un rocher, au confluent les fleuves Eresma et Clamore et qui ressemble à la proue d'un navire. 

imgres-copie-7.jpg              images-1-copie-8.jpg

 

Elle est aussi célèbre pour son acqueduc romain qui traverse La plaza del Azoguero, pour  La Casa de las Conchas  qui fut une halte pour les pélerins qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle, ses églises romanes.  

 

                       5166742396_fe7dc1dc00.jpg

      Le poète dira '" Segovia es de una belleza insuperable" (Ségovie est d'une incomparable beauté )

Antonio Machado habita dans une modeste pension de famille, près de la Plaza Mayor, calle de los Desemparados  (rue des Abandonnés) où il demeurera douze ans

 

                                     Casa-A.-Machado-Segovia.jpg

 

La maison restaurée  (devenue La casa -Museo de Machado) était alors moins pimpante.

 

                                       segovia.jpg

 

 

Sa chambre est d'un confort spartiate. Pendant les rudes hivers,  il y meurt de froid. L'été la chaleur y est insupportable. 

"Dans cette chambre, assis devant sa table, Machado travaillait fumant inlassablement, répandant sur lui la cendre des cigares tandis que le petit brasero refroidissait. Le poète acheta plus tard un poêle à pétrole qui ne chauffait guère, mais dont la fumée faillit l'asphyxier un jour. Ce moyen de chauffage, diabolique et pestilentiel, qui luisait ironiquement dans la chambre était trop compliqué pour don Antonio dont la négligence était proverbiale."

 

 

                   imgres-1-copie-7.jpg                           

 Il retourne chaque fin de semaine à Madrid; il voyage toujours en troisième classe et dans la dernière voiture du train pour contempler le paysage du Guadarrama depuis la plate-forme.

Antonio et Manuel sont toujours aussi proches. Ils travaillent ensemble et écrivent plusieurs pièces de théatre, leur entente est parfaite. Mais Manuel est toujours élégant et Antonio n'a nul souci de son apparence.Ils s'en amusent.

                                      manuel-machado-y-ruiz-granger.jpg


Ses études philosophiques ont porté leurs fruits. Dès son arrivée à Ségovie,  l'idée de créer un personnage imaginaire lui vient. Ce sera Abel Martin à qui il fera tenir des propos philosophiques avec le souci constant de ne pas pontifier.

Abel Martin parût entre 1924 et 1925 dans "La revista de Occidente" mais une partie de l'oeuvre a mûri à Baeza. Ce poète et philosophe, imaginaire,  naquit à Séville en 1840 et mourût à Madrid en 1898"

 Il est imbu des idées philosophiques en vogue vers 1900. Il a une théorie de l'amour selon laquelle le paroxysme de ce sentiment ne peut être atteint que lorsque l'être aimé disparaît. A partir de l'oubli, le véritable amour sublimé renaît.

La solitude de Machado à Ségovie fut de courte durée. Rapidement des cercles se formèrent autour de lui dans plusieurs cafés de la ville, amis, professeurs, musiciens. Il participa avec enthousiasme à la fondation d'une Université populaire que des intellectuels et des personnalités avaient décidé de créer.

Les conférences avaient lieu dans l'église romaine de San Quirce. Machado y donna des cours de français et Unamuno vint y faire une conférence.

 

                          images-2-copie-5.jpg

 En 1922, il participa à la fondation à Ségovie de "La ligue Provinciale de Droits de l'Homme" dont Unamuno était le président.` Ils échangaient une correspondance régulière:

Je lis tout ce que vous écrivez dans "El Liberal", si amèrement et si justement. Au milieu de cette abjection et de cette peur ,vos propos sont héroïques et téméraires. On dirait que l'Espagne toute entière s'est abrutie jusqu'à se transformer en pierre  sur laquelle vous frappez comme un titan"

En 1923, pour mettre fin aux troubles et à l'agitation sociale,Primo de Rivera prend le pouvoir. La perte de prestige des gouvernements successifs avait facilité l'instauration d'une dictature militaire qui devait durer, grâce à la collaboration des hommes d'extrême droite jusqu' en 1930.Ces gouvernements sont jugés sévèrement par Machado dans une lettre à Unamuno.

 "Ils étaient si lâches en vérité ces gens qui furent balayés par le coup d'État, et leur discrédit si accablant."

Unamun, lui, avait été condamné à l'exil dans l'île de Fuerteventura (Canaries). Ayant réussi à s'enfuir, il résidera enFrance jusqu'en 1930. 

 

                         images-copie-10.jpg                                

Dans une lettre datée de mai 1927, Machado lui dit combien son exil les "prive d'une pensée féconde". Il s'afflige de la passivité générale

A la même époque, il se lance dans le théâtre avec son frère Manuel. Ils écrivirent sept pièces qui furent jouées à Madrid, sauf la dernière écrite en 1928 qui ne fut jouée qu'en 1941.  

                       manuel antonio machado

Le 24 mars 1927, Machado est élu membre de "La real Academia de la Lengua", honneur qu'il n'a jamais sollicité; sa candidature est une maneuvre politique contre Primo de Rivera.

Il écrit:

 "c'est un honneur auquel je n'ai jamais aspiré; j'oserai dire que j'aspirais à ne jamais le recevoir. Mais Dieu donne un mouchoir à qui n'a pas de nez."

Les étudiants combattent la dictature, s'organisent en une "Union fédérale des étudiants hispaniques." D'exil, Unamuno lance des appels.

Pendant les dernières années de son séjour à Ségovie, Machado se retrouve dans un combat intellectuel fraternel. A l'évidence, il renaît: université populaire, jeune revue, voyages à Madrid, pièces de théâtre.

Mais aussi un miracle qu'il n'attendait pas, qu'il n'attendait plus s'était accompli. Après tant d 'années deuil, de chagrin, une femme était entrée dans sa vie .

Pendant des années pour sauvegarder l'image d'un poète d'un seul amour, des amis bien intentionnées ont essayé de l'occulter.

 Elle s'appelait Pilar de Valderrama, (1892-1979). A 20 ans elle avait fait un mariage d'amour qui ne lui réserva que déceptions et chagrins. Ils avaient 2 enfants. Son mari s'intéressait beaucoup au théâtre .. et aux femmes

Elle écrivait des poèmes qui lui avaient valu une certaine notoriété. Elle admirait beaucoup Machado à qui elle avait envoyé son dernier recueil.

Elle était habituée aux infidélités de son époux quand, en 1928, elle apprit que la jeune maîtresse de son mari s'était suicidée.

Bouleversée, elle partit à Ségovie mais renonça à rencontrer Machado. Elle revint fin juin et lui fit passer sa carte et une invitation à dîner.
Ce fut un coup de foudre réciproque. Machado, paralysé par l'émotion, parla à peine. Par cette douce nuit de juin, ils marchèrent par les petites rues de Ségovie jusqu'à l'Alcazar, éclairé par les rayons de la lune. Ce fut sans doute, pour lui, le souvenir le plus heureux de son amour . 

                  

                             segovie03-copie-1         

 

Mais Pilar est une femme blessée par l'échec de son mariage; elle a renoncé à l'amour physique. Elle ne cherche que de la tendresse ,un amour totalement spirituel.

Lui accepte toutes ses conditions du moment qu'il la voie " con tal que te vea"

Certes elle l'a aimé mais tenait à sauver les apparences même en le faisant souffrir. Au point que certains amis, plus tard, ont conclu qu'elle s'était servie de lui.  

 Il se plie à toutes ses exigences et ne se plaint pas cependant dans un poème qui ne fut pas publié de son vivant, il écrvivait 

Tú me bucasté un día                C'est toi qui, un jour est venue me chercher 

yo nunca a tí, Guiomar-                 - ce ne fut pas moi, Guiomar.

y yo temblé al mirarme en el tardío Et j'ai tremblé en me voyant dans le vieux 

curioso espejo de mi soledad .              et curieux miroir de ma solitude. 

 

 

 

Dans ces années -là, il peut quitter Ségovie le mercredi. Dès qu'il arrive à Madrid, ils se retrouvent dans le "Parque Real", toujours sur le même banc que le poète appellera "le banc des amoureux"

L'hiver venu, ils se rencontrent dans un modeste café où Pilar ne ne risque pas de rencontrer quelqu'un qui la reconnaîtrait. 

Il ne s'attarde pas à Madrid "souvent, pouvant rester à Madrid, je suis venu à Ségovie seulement pour t'attendre ici, pour penser à toi dans ce coin." 

 Quand elle ne peut pas se libérer, il passe sous son balcon, jusqu'à ce que, craigant d'être compromise, elle le lui interdise. Un jour ils se trouvèrent au théâtre l'un et l'autre. A aucun moment elle ne se tourna vers lui.`

Dans l'espoir de l'apercevoir pendant la messe, il va à l'église de San Ginés.

  Il fait une critique élogieuse du dernier recueil de poèmes écrits par celle  qu'il appelle "La Diosa "

  Il lui écrivit 240 lettres en 7 ans. 

 Quand elle quitta l'Espagne, elle n'en garda qu'un quarantaine mais ces lettres avaient été trafiquées, coupées, des passages entiers avaient été effacées.Mais on a pu retrouver les faire répparaître.Toutes nous révèlent au homme envoûté qui ne peut plus vivre sans la voir, même de loin.

Ainsi réaparurent quelques mots pourtant peu compromettants

"Un abrazo infinito y el beso inacapable"."je te serre dans mes bras , infiiniment avec un baiser interminable." 

"Adieu je vais rêver de toi dans les rues de Ségovie."

Quand elle part en vacances avec sa famille à Hendaye, il n'hésite pas à partir la rejoindre pour l'apercevoir quelques minutes.

 

 

                           imgres-2-copie-7.jpg     

 Il travaillait avec Manuel à leur pièce, La Lola va a los puertos  qui devait connaître un immense succès. On ne peut s"empêcher de voir une allusion à sa relation avec Pilar dans l'une des répliques du héros:

" Su cuerpo tan precioso y tan defendido por el alma que lleva dentro ""son corps si beau et si bien défendu par son âme

Machado l'appelle "Guiomar". Quand parurent les "Poèmes à Guiomar "nul ne savait si ces vers s'adressaient à une femme ou à un être imaginaire.  

Ce n'est qu'en 1981que parurent les Mémoires posthumes de Pilar de Valderrama

" Si soy Guiomar " 

 

                         22811770.jpg

 Elle était une fervente catholique et ne partageait pas les choix poitiques de son poète. Elle redoutait la république et c'est une sujet dont ils évitaient de parler . 

Quand éclata la guerre civile, elle quitta l'Espagne.  

 Madrid ( 1932-1936)La république.

      La dictature de Primo de Rivera est tombée, le gouvernement semi-dictatorial qui lui succède ne parvient pas à rallier l'opinion publique à la cause monarchique.

Unamuno revient en Espagne, salué par les étudiants qui livrent bataille contre le régime.

Antonio Machado adhère au "Groupement des Intellectuels au service de la république" et il va de village en village faire campagne électorale  

 En 1931, la République triomphe. Alphonse XIII cède devant la pression populaire.

Antonio Machado est nommé professeur à l'Institut Calderon de la Barca à Madrid.

Il vit avec sa mère, son frère José et la famille de ce dernier dans un petit appartement. Il voit Manuel tous les jours; il se rendent ensemble aux réunions dans les cafés littéraires où ils retrouvent de nombreux amis. Guillermo de Torre évoque son allure provinciale et Pablo Neruda se rappelle:

"je l'ai vu souvent assis dans son café favori, avec son costume noir de notaire, silencieux, très discret, doux et sévère comme un vieil arbre espagnol."   

                                    1475.jpg                                          

En 1933 est publiée la troisième édition de ses œuvres complètes et "Les commentaires d'Abel Martin." 

En décembre 33, préoccupé par la montée du fascisme en Europe et la dégradation de l'esprit républicain en Espagne, Machado écrit:

"La république est partie.Personne ne sait comment cela s'est fait." et il ajoute  R.I.P.

Dans un article du 9 novembre 34, il exprime son rejet d'une littérature au service d'un état totalitaire. Devant les menaces de guerre, ses idées s'expriment plus radicalement:

Quand on lui demande ce qui met en péril la paix du monde  il répond:

" L'une des causes est la faim, dont l'origine est dans une mauvaise distribution des ressources et des populatons. Par ailleurs l'homme ne parvient pas à imaginer ce que sont les horreurs de la guerre s'l n'en a pas la moindre expérience. Une autre cause réside dans l'idéologie combattive de la bourgeoisie, son culte de "la lutte pour la vie". Enfin, l'incurable barbarie et le sadisme des masses urbaines."

En 1934 paraissent les premiers textes de Mairena qui seront publiés en un volume en 1936. En1935, il est nommé professeur à l'Institut Cervantes qui vient d'être créé. Il participe à la revue que vient de lancer Pablo Neruda " Caballo verde para la poesia."

En février 35 il publie un hommage à Valle-Inclan qui vient de mourir.

"Et ses dernières paroles , avec quelle impatience de poè!te et de capitaine, il les prononça :" Comme elle tarde! " Ah qu'il fut beau Don Ramon au moment suprême "

Le 16 février , le Front Populaire obtient un succès triomphal aux élections. Machado adhère à "L'Union Universelle pour la paix".

Lorca vient d'écrire "La maison de Bernarda" "Yerma "connaît un immense succès. Les universités populaires se multiplient. Le théâtre universitaire, "La Barraca", joue Lope de Vega pour les ouvriers de Salamanque, les paysans, les étudiants. Il met en scène le romance de Macahdo  "La Tierra de Alvar Gonzalez"

 Un écrivain Manuel Azaña est élu président de la République. Malraux parle à l'Ateneo alors que le temps des mitrailleuses semble déjà venu. Don Antonio, el bueno, ne veut pas croire au drame qui se prépare.

Le drame va l'atteindre en plein cœur et personnellement, non seulement parce qu'il va le séparer pour toujours de Guiomar, mais également de son frère qui a choisi l'autre camp.

  La guerre ( 1936-1939)

La guerre civile éclate le 18 juillet 1936. Antonio Machado est alors à Madrid. Son frère Manuel et sa femme sont à Burgos.  Ils ne se reverront plus.

 Manuel, tout d'abord suspect aux autorités , se rallie ouvertement au parti franquiste . Il deviendra un chantres du régime et finira sa vie couvert d'honneurs 

 En août, on apprend l'assassinat de Federico Garcia Lorca ; en octobre la revue Ayuda publie son élégie à la mort de Lorca

Le crime eût lieu à Grenade 

Que fue en Granada el crimen

sabed -¡pobre Granada!-, en su Granada...

Fidèle à ses convictions républicaines, Machado prend le parti du gouvernement légitime. lI parle en ces termes de sa décision:

"Ils se sont révoltés contre le gouvernement des hommes honnêtes, attentifs aux plus justes aspirations du peuple dont ils représentaient légitimement la volonté. Quel était  le tort de ce gouvernement plein de respect et de mesure, de tolérance ? Celui de gouverner dans le sens de l'avenir, le sens de l'histoire. Pour abattre ce gouvernement qui n'avait outrepassé aucun de ses devoirs, ils décidèrent de vendre l'Espagne à la réaction européenne."

Un an et demi plus tarde il affirme sa foi en la République élue démocratiquement mais qu'il aurait combattu si elle était né d'un coup d'état.

 Madrid ne le déçoit plus:

"Madrid, le frivole Madrid nous réservait la surprise de nous révéler, à la faveur des circonstances les plus tragiques de la vie espagnole, toute la grandeur des jours sombres, nous vîmes l'Espagne sous son meilleur aspect. Madrid, d'un froncement de sourcil avait balayé le señorito et pouvait sourire à nouveau."

 En l'honneur de la résistance de Madrid, il écrit ces vers devenus fameux

            "Madrid, Madrid, comme ton nom résonne

             brise-lames de toutes les Espagnes !

La terre se déchire, le ciel tonne,

              mais tu souris, du plomb dans les entrailles."

Il écrit régulièrement dans "Hora de España", dans les cahiers de la Maison de la Culture .

 En novembre 36, le gouvernement républicain se réfugie à Valence et le Cinquième régiment se charge de l'évacuation des écrivains, intellectuels et artistes ,directement menacés.

 Suivant les conseils de son ami Alberti, Machado et sa famille s'éloignent de la ville et s'installent dans la villa Amparo dans un petit village Rocafort ,près de Valence.  Il y passe un an et demi; sa santé est mauvaise, il est très abattu, néanmoins il continue de mettre sa plume au service de la cause républicaine.

 Bientôt les petites filles vont être évacuées à l'étranger. 

                         imgres-4-copie-5.jpg

Avec une profonde tristesse, il apprend la mort de Unamuno.

Il ignore dans quelles circonstances elle est survenue mais il avait eu comme une intuition. Il imaginait Unamuno révolté, apostrophant les phalangistes et invoquant le nom de l'Espagne...et il ne se trompait guère.

" Subitement, comme celui qui meurt à la guerre. contre qui ? peut-être contre lui-même; peut-être malgré ceux qui ne le croient pas contre des hommes qui ont  vendu l'Espagne et trahi son peuple.."

" De ceux qui ignorent que ce soit une véritable catastrophe nationale que la voix de Unamuno se soit tue, il faudrait dire " pardonne-leur Seigneur car ils ne savent pas ce qu'ils ont perdu."

Valence est la dernière étape de sa création poétique; il publie la deuxième partie de Juan de Mairena. Il souffre d'être séparé de son frère et que cette séparation ne soit pas seulement celle de la distance 

 En août, Antonio Macahdo écrit un long prologue à un ouvrage de Valle-Inclan " La cour des miracles": "Devant l'invasion de l'Espagne par l'étranger et la trahison, aurait revécu en Ramon le capitaines des nobles causes et beaucoup des exploits qu'il avait rêvés se seraient transformés en réalité"

La guerre civile l'a séparé de Guiomar. Elle avait sans doute quitté Madrid pour la Galice, ou le Portugal. Leur séparation allait être définitive.

 De mar a mar entre los dos la guerra,          De mer à mer  entre nous deux la guerre

 más honda que la mar. En mi parterre,       plus profonde que la mer.De mon parterre

 miro a la mar que el horizonte cierra.             Je regarde la mer que ferme l'horizon.

 Tú asomada, Guiomar, a un finisterre,            Toi Guiomar, depuis un finistère

 miras hacia otra mar, la mar de España      Tu vois une autre mer , la mer d'Espagne

 que Camoens cantara, tenebrosa.             chantée par Camoëns qu'emplissent les ténèbres

 Acaso a ti mi ausencia te acompaña.       Mon absence te tient peut-être compagnie

 A mí me duele tu recuerdo, diosa.            A moi , ton souvenir me fait mal

 La guerra dio al amor el tajo fuerte.          La guerre a sur l'amour porté un coup fatal

 Y es la total angustia de la muerte,               Et voici la totale angoisse de la mort

 con la sombra infecunda de la llama             avec l'ombre stérile de la flamme

 

La vie est cruelle parfois et excessivement dure. Mais cette douleur, aussi profonde soit-elle n'est rien comparée à la catastrophe générale. Cependant,  quand je pense à un possible exil, sur une autre terre qui ne serait pas cette terre torturée d'Espagne, mon cœur se trouble et s'affole. J'ai la certitude que l'étranger serait pour moi la mort`"

 En 1937, il participe au Congrès International des  Ecrivains  pour la Défense de la Culture. Il y prononce un discours dans lequel il affirme sa foi en des valeurs démocratiques, devant un auditoire recueilli "d'une voixlente et grave"

Parmi les poèmes qu'il écrit alors, nombreux sont ceux qui évoquent le passé, Soria, Séville, Leonor, Guiomar.

 Rester à Valence devient dangereux, les troupes nationalistes approchent. En avril 38, il doit partir précipitamment avec les siens pour Barcelone. où ils logent à l’hôtel Majestic, puis à la Torre Castañer. Il  écrit ce sonnet qui a pour titre "La mort de l'enfant blessé"

La muerte del niño herido, Antonio Machado

Otra vez en la noche...Es el martillo /de la fiebre en las sienes bien vendadas 

del niño. - Madre, ¡el pájaro amarillo ! / ¡Las mariposas negras y moradas !

-Duerme, hijo mío.- Y la manita oprime /la madre, junto al lecho. - ¡Oh flor de fuego ! 

¿Quién ha de helarte, flor de sangre, ¿Dime ? /Hay en la pobre alcoba olor de espliego ;

fuera, la oronda luna que blanquea /cúpula y torre a la ciudad sombría. 

Invisible avión moscardonea./-¿Duermes, oh dulce flor de sangre mía ? 

El cristal del balcón repiquetea. /¡Oh fría, fría, fría, fría, fría !

 

nouveau dans la nuit… C’est le martèlement de la fièvre dans les tempes bien bandées de l’enfant. Mère, mère, l’oiseau jaune !  Mère, les papillons noirs et violets !Dors mon enfant chéri. Et la mère étreint la petite main, près du lit. Oh, fleur de feu ! Qui doit te glacer, fleur de sang, dis-moi ? Dans l’alcôve triste un parfum de lavande ;dehors, la lune ronde qui blanchit la coupole et la tour de la ville sombre. Un invisible avion tourne en bourdonnant. Est-ce que tu dors, oh douce fleur de mon sang ? La vitre du balcon tinte en crépitant. Oh, froide, froide, froide, froide !

Malgré sa santé de plus en plus précaire, il continue d'envoyer des articles pour le journal  "L'avant-garde", "Hora de España"  et au Service espagnol d'information. L'hiver est rigoureux, la situation angoissante.

Manuel connaît les honneurs.

L'exil et la mort   

Mais le 22 janvier, il faut quitter Barcelone, la vile tombera 4 jours plus tard .Cest dans la confusion et le désespoir que s’organise l’exode vers la France

Machado et les siens font partie d’un convoi d’intellectuels qui au bout de six jours arrive à Port Bou.Ils ont fait des haltes à Cervià de Ter, à Raset et au Mas Faixat. Antonio est calme, épuisé mais ne ne plaint de rien. Sa vieille mère commence à perdre la tête.

Le poète et ses compagnons d’exode passent leur dernière nuit en terre d’Espagne. Le matin du 27 janvier, on se remet en route pour atteindre Port Bou à la nuit tombante 

 Il fait froid et il pleut.

Le flot énorme des réfugiés empêche le passage des véhicules vers la frontière.

Antonio Machado et sa famille doivent descendre de voiture, abandonner leurs bagages (parmi lesquels une précieuse petite valise) et passer à pied le col des Balitres

                     la-bolsa-de-biesla-6-000-espagnols-fuient-les-bombardements.jpg

                                          

Ils arrivent à la frontière , dans un était d'épuisement indicible. Elle est fermée sur ordre des autorités françaises et ne sera ouverte aux civils que le lendemain, 28 janvier

Grâce à son passeport, et à l’intervention de  l'écrivain, Corpus Barga, qui  dit au commissaire de police "qu’Antonio Machado était à l’Espagne ce que Paul Valéry était à la France et qu’il était malade ", Antonio Machado et sa mère peuvent franchir la frontière et descendre à Cerbère dans un fourgon cellulaire que le commissaire de police met à leur disposition. Il lui évite ainsi d'être emmené le demain dans un camp.

 

 

                                          200902041760.jpg

 

 

 

Ils sont bientôt rejoints par son frère José et sa femme, Matea et tous passent cette première nuit en terre française dans un wagon oublié sur une voie de garage.

Le lendemain, le 28, accompagné de Corpus Barga ils prennent un train pour Collioures. Ils ont tout perdu, ils n'ont pas d'argent. Il est vraiment " le voyageur sans bagage " ligero de equipaje ", ils arrivent à la gare de Collioure vers 11 heures .

Ils descendent à pied jusqu’à la Placette où Juliette Figuères, qui tient une mercerie-bonneterie, les réconforte avec un café au lait et quelques biscuits.

 

                   machado_juliette_figueres_min-copie-1.jpg

Machado est à bout de forces ; il ne peut même plus faire les quelques mètres qui le séparent de l'hôtel Bougnol-Quintana, que leur a indiqué le chef de gare à leur descente du train. Epuisé  il s'appuie sur son frère, Corpus Barga porte la mère d'Antonio.

 

                              g_hotel.jpg


Jacques Baills, Juliette Figuères et son mari, Pauline Quintana, hôtelière au grand cœur, sont ses nouveaux amis. Les exilés n'ont plus rien, ni vêtements, ni argent; ils apportent au poète et à sa famille une aide morale et matérielle : linge, timbres-poste, livres, journaux et revues.

Machado, très éprouvé par le voyage, sort très peu de l’hôtel. Son frère a raconté la dernière promenade qu’il fit en sa compagnie jusqu’au bord de la mer.

Son frère José se souvient:

Il ne pouvait survivre à la perte de  l'Espagne et à l'angoisse de l'exil...Cependant quelques jours avant sa mort, dans son amour infini pour la nature, il me dit.

" Allons à la mer. Ce fut sa première et dernière sortie. Nous nous dirigeâmes vers la plage. Nous nous assîmes sur l'une des barques qui se trouvaient sur le sable. Le soleil de midi était presque chaud. C'était ce moment unique où l'on dirait que le corps enterre son ombre sous ses pieds. Il y avait beaucoup de vent mais il ôta son chapeau, il le posa sur son genou et retint d'une main, tandis que l'autre dans un geste qui lui était habituel reposait sur le pommeau de sa canne. Il demeura ainsi silencieux, absorbé par le mouvement incessant  des vagues...

Au bout d'un long moment, il me dit en me désignant quelques petites maisons de pécheurs:  "Si l'on pouvait vivre ainsi, derrière ces murs loin de toute préoccupation".
Ensuite, il se leva avec effort et marchant péniblement sur le sable où les pieds s'enfonçaient presque complètement, nous repartîmes dans le silence le plus total."

    Machado meurt le 22 février. Le 25, sa mère mourait, le jour même de l'enterrement de son fils.

Le cercueil recouvert du drapeau républicain fut porté par un groupe d'exilés espagnols et fut enterré dans le cimetière de Collioures

 

 

                         cortejofnebreendireccin.jpg

Dans la poche de son manteau, José trouva ce qui fut sans doute son dernier vers:

`"Ces jours bleus et ce soleil de l'enfance."

 

Le 1 er avril 1939  Fin de la guerre civile. 

En 1957, l'écrivain Camilo José Cela écrivit:

 "La terre mouillée de Collioure, se brisant mollement sur le cercueil de don Antonio le Bon, il y a vingt ans, retentit dans les têtes espagnoles avec un fracas épouvantable..poète, le plus espagnol de nos poètes, don Antonio le Bon ne put rester sur la terre qui le vit naître. A nous Espagnols qui n'avons pas su le garder, il ne nous reste plus qu'à le pleurer"

      Peu avant de quitter Barcelone, Antonio Machado disait à Elya  Erengboug:

"C'est la fin. Aujourd'hui ou demain ils prendront Barcelone. Pour les stratèges, pour les politiques, pour les historiens ,tout sera clair: nous avons perdu la guerre. Mais humainement  je ne sais pas.. peut –être l'avons – nous gagnée.".

 Il posait la question tant débattue des valeurs La nuit tombait et il voyait le monde de demain.

Et aujourd'hui, on sait que le grand vaincu de 1939, au côté d'Unamuno, mort de désespoir à Salamanque, au côté de Lorca le poète assassiné, Antonio Machado , fut et demeure l'honneur de l'Espagne 

 

 

 

Partager cette page
Repost0

Jacqueline Baldran Maître de conférences. Paris IV
 

Contact

Liens